Dans une tribune parue à Libération hier, 150 auteur.es, chercheur.euse.s, réalisateur.trice.s, architectes, comédien.ne.s énoncent les raisons de leur opposition aux menaces de normalisation de l'espace d’expérimentation qu'est le Quartier des Lentillères :
https://www.liberation.fr/debats/2020/01/15/laisser-vivre-le-quartier-libre-... --- La tribune en version longue : https://lentilleres.potager.org/2020/01/16/tribune-il-faut-laisser-vivre-le-...
Il faut laisser vivre le Quartier libre des Lentillères à Dijon !
Après le récent abandon par la mairie de Dijon du projet d'artificialisation des terres du quartier libre des Lentillères, 150 auteur.es, chercheur.euse.s, réalisateur.trice.s, architectes, comédien.ne.s énoncent les raisons de leur opposition aux menaces de normalisation de cet espace d’expérimentation.
Depuis une certaine attention aux enjeux écologiques, sociaux et démocratiques, nous sommes impliqués dans la préservation et la construction des (biens) communs, et en cela solidaires de la lutte du Quartier Libre des Lentillères. Nous nous réjouissons en ce sens de la récente décision municipale d’abandonner la phase 2 du projet d’éco-quartier qui menaçait d’urbaniser les dernières grandes parcelles de terres nourricières à l’intérieur de la ville de Dijon. Mais nous saluons surtout la ténacité et l’inventivité des militant·es et habitant·es impliqué·es dans cette lutte pour avoir, depuis dix ans, pris soin de ces 9 ha délaissés à leur arrivée. Elles et ils se sont attaché·es à les remettre en culture tout en y préservant la diversité de la flore et de la faune, y compris en prenant soin de maintenir certains espaces non jardinés. Elles et ils y ont aussi fait revivre un quartier en auto-gestion, solidaire des mouvements sociaux émancipateurs et des exilé·es, ouvert sur le reste de la ville et bien au-delà. Elles et ils y ont développé de multiples initiatives, maraîchères, festives, culturelles, des liens tenaces et la réappropriation de savoirs et de savoir-faire....Nous aimons la détermination bâtisseuse qui a permis la restauration des bâtis anciens, l’expérimentation d’auto-constructions de terre et de pailles ou encore l’apparition d’un amphithéâtre ou d’un bateau pirate... 10 ans d’un certains bouillonnement joyeux en ont fait un lieu de maraîchage, de vie mais aussi de flâneries fantasques fort apprécié de bien des dijonnais·es.
L’abandon du projet d’urbanisme, première victoire offerte par l’occupation sans droit ni titre du quartier, n'est pas seulement la victoire pour la préservation d'un « espace vert ». C'est la victoire d'une certaine idée de la ville et de la façon de l'habiter. C'est la victoire d'une certaine vision de l'écologie politique, non inféodée aux impératifs de l'industrialisation et de la métropolisation. Comme cela a déjà été le cas l’an dernier avec l’abandon du projet d’aéroport sur le bocage de Notre-Dame-des-Landes, c'est la victoire d'une alliance vertueuse entre lutte acharnée et expérimentation concrète.
Nous laissons à M. Rebsmanen, maire de Dijon, le soin d’écrire sa propre version de l’histoire, en affirmant « Je n’avais rien dit car je ne voulais pas faire plaisir aux anar, mais je l’avais prévu depuis le début ». L’histoire sociale nous a appris qu’il n’est pas d’acquis sur le plan démocratique, social ou écologique sans mobilisations collectives. Ici comme dans de nombreux autres endroits, les populations doivent lutter contre la surdité des élites, les caprices de certains élus et les processus d'invisibilisation de celles et ceux qui font véritablement vivre un territoire.
Sortir des pensées verticales, défendre l'art d'habiter des lieux
Alors que la municipalité avait décidé de ne rien changer dans la révision du « Plan Local d’Urbanisme Intercommunal Habitat et Déplacements » (PLUI-HD) concernant la phase 2 de l’éco-cité « jardin des maraîchers » - notons au passage, le processus marketing pervers qui consiste à se servir des attributs positifs d'un passé que l'on a contribué à faire disparaître - et qu’elle répondait par la négative aux demandes d’abandon exprimées lors de l’enquête publique, le Maire de Dijon est revenu in-extremis sur cette position. Il a ainsi validé dans une déclaration à la presse une partie de ce que demandait depuis 10 ans le collectif des Lentillères. Cette volte-face nous invite à exercer notre esprit critique et à rester dubitatif vis-à-vis des arguments, économiques et juridiques notamment, mobilisés pour justifier une possible expulsion des habitant·es du quartier dans les mois à venir. Nous déplorons en effet qu’en même temps qu’il reconnaît la justesse de leur combat, donnant raison à 10 ans de combat et d’enracinement, le maire de Dijon affirme qu’il pourrait dorénavant évacuer par la force les militant·es et les habitant·es qui ont fait renaître et vivre ce quartier.
Refuser de reconnaître que la chose publique peut aussi se construire en dehors des cases trop étroites des politiques publiques et de leur encadrement réglementaire, c'est oublier que la vitalité et la résilience de la démocratie ne se réduit pas à la sphère de la représentation ni même à celle de la participation encadrée. L’existence du Quartier est une singularité précieuse qui attire de nombreu·ses sympathisant·es, curieu·ses, qui répond à de multiples aspirations locales et inspire des regards venus d’ailleurs.
Le Quartier libre des Lentillères doit continuer d’exister car il est l’antithèse de grands projets inutiles et imposés, à l’image de la nouvelle stratégie agro-alimentaire de Dijon Métropole baptisée « Système alimentaire durable de 2030 ». Imaginée pour répondre à l’Appel à manifestation d'intérêt « Territoires d'Innovation - Grande Ambition » (TIGA) lancé par l'État. La métropole y voit en toute modestie « un projet original qui la place parmi les références françaises en matière d’agroécologie ». En fait de référence agroécologique, ce projet est surtout l’occasion pour plusieurs poids-lourds de l’agro-alimentaire qui en sont partenaires, de construire une nouvelle filière économique particulièrement lucrative. Dijon Céréale, Seb, Orange,… mais aussi des réseaux comme le Food Use Tech ou Vitagora pourront ainsi continuer à entretenir leur position dominante en toute tranquillité au prétexte d’assurer une soi-disante « autonomie alimentaire » aux habitants. Mais nous n’avons aucunement besoin d’un TIGA et de ses acteurs dominants pour reprendre le contrôle de notre alimentation, pour prendre soin de la terre, pour accompagner le retour des paysans et partager nos ressources. Comme de nombreuses autres alternatives territoriales, le Quartier libre des Lentillères démontre qu’il est possible de s’inscrire hors d’une verticalité vertigineuse du pouvoir pour privilégier la gestion collective des biens communs, que sont en premier lieu les sols nourriciers et la biodiversité. Il offre la possibilité de concevoir de nouvelles formes d’interaction avec le vivant, y compris à partir de l’espace urbain.
Contre les menaces de« normalisation », soutenir les expérimentations collectives
Que le maire s’efforce de détruire demain 10 années de constructions collectives sur le quartier des Lentillères sous les auspices de la république comme le gouvernement a cherché l’an dernier à se venger de son renoncement sur la ZAD de Notre-dame-des-Landes ne serait pas seulement une nouvelle démonstration de la violence d’État. Ce serait déclarer de nouveau la guerre à tout un mouvement émergeant et hétérogène, puissant et créatif, qui a décidé de reprendre la main face à l'impuissance politique et au diktat économique. Vouloir « normaliser la zone », et tenter de faire rentrer dans un zonage unique ce quartier où se mêlent des expériences maraîchères, écologiques, d’échanges non marchands, d’auto-gestion et de solidarité, reviendrait à se priver de savoirs et savoir-faire riches au moment même où la crise climatique, écologique et sociale nous invite à changer radicalement de modèle et à explorer de nouvelles voies.
Nous demandons en conséquence que l’avenir du Quartier libre Lentillères soit confié aux habitant·es et militant·es qui l'ont construit. Nous appelons les responsables politiques à faire preuve de courage, d’imagination juridique et d’ouverture aux attentes de leurs administré·es en reconnaissant aux habitant·es le droit d’habiter les lieux où ils et elles vivent et qu'ils et elles font vivre. Nous leur demandons de se mettre au diapason des règles d’usages imbriqués que ceux-ci parviennent à élaborer au quotidien. Nous affirmons notre solidarité active pour ce nouveau grand chantier de réflexion collective qui s'ouvre sur l'avenir du Quartier libre des Lentillères.
Premier.e.s signataires de l’appel des Lentillères
Yannick Sencébé, sociologue, Dijon François Jarrige, Historien, Université de Bourgogne, Dijon Léo Coutellec, Philosophe des sciences, Paris Antoine Lagneau, enseignant vacataire Alice Le Roy, journaliste et enseignante Adrien Normand, Chimiste Université de Bourgogne-CNRS, Dijon Jean-Louis Tornatore, Anthropologue, Université de Bourgogne, Dijon Sarah Vanuxem, juriste, Université de Nice, Nice Josep Rafanell i Orra, philosophe et psychothérapeute, Paris Isabelle Stengers, philosophe, Bruxelles Serge Gutwirth, juriste, Belgique Barbara Glowczewski, anthropologue, CNRS Johan Badour , édition Divergences Marie Menant, architecte et doctorante, Belgique Serge Quadruppani, écrivain, traducteur Jérôme Baschet, historien Rémy Toulouse, édition La découverte Jean Rochard, producteur de musique Nicolas Flesch, auteur-acteur. Chloé Kazemzadegan, travailleuse du spectacle Pascal Bernier comédien Yves Pagès, écrivain & éditeur (Verticales) Simon Le Roulley, sociologue Sophie Gosselin, philosophe, revue Terrestres David gé Bartoli, philosophe Fabrice Flipo, philosophe, Paris Alessandro Pignocchi, auteur de bande dessinée Philippe Descola, anthropologue Alain Damasio, romancier Fanny Ehl, doctorante designer Sylvaine Bulle, sociologue Elsa Brès, artiste Mathilde Girard, psychanalyste philosophe, Paris Laura Mehtali , doctorante en géographie, Nantes Christophe Laurens, architecte Anne de Galzain, réalisatrice, 02 Château-Thierry Gilles Clément, paysagiste, Paris Patrick Bouchain, architecte, Paris Jean-Philippe Pierron, philosophe, Dijon Nastassja Martin, anthropologue Bruno Latour, sociologue Christine Thépénier, orga Bobines Rebelles dans les Alpes, 05110 Esparron Dominique Bourg, philosophe, Lausanne Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, Paris Vincent Bourdeau, Enseignant-Chercheur en philosophie, Université de Besançon, Besançon Caroline Darroux, ethnologue, MPOB, Anost Noël Barbe, anthropologue , IIAC Flavie Ailhaud, ethnologue Noé le Blanc, enseignant Stéphane Gacon, Historien, Université de Bourgogne, Dijon Christophe Bonneuil, historien, Cnrs Nathalie Quintane, autrice Corinne Morel Darleux, autrice Jeanne Susin, musicienne Alessandro Stella historien (CNRS-EHESS) François Thoreau, sociologue, université de Liège Francesco Pastacaldi, musicien Luisa Homem, cinéaste Aki Kaurismäki, cinéaste, Finland Félix Rehm, cinéaste et monteur, Paris François Olislaeger, auteur de BD Amandine Guilbert et Rémi Eliçabe, les éditions des mondes à faire Guillaume Faburel, Géographe, Lyon Vincent Balland, doctorant en histoire, Dijon Hélène Tordjman, économiste, Paris Fabian Lévêque, doctorant en études urbaines, Lyon 2 Sonja Kellenberger, Sociologue, Dijon Pierre Bitoun, sociologue, co-auteur du livre "Le sacrifice des paysans" Fanny Chrétien, Enseignante chercheure en Sciences de l’éducation et de la formation, Dijon Thomas Bouchet, Historien, université de Lausanne Lucie Dupré, anthropologue, INRA Aurélie Dumain, sociologue, CMW, Lyon. Cécile Gazo, doctorante en sociologie, Toulouse Damien Marage, géographe, Dijon Jeremy Sauvineau, doctorant en sociologie, Dijon Béatrice Dégrange, chargée d'ingénierie de formation, AgroSup Dijon Claire Masson, sciences de l'éducation, Dijon Alexis Zimmer, historien, CNRS-EHESS Jean Baptiste Vidalou, auteur Maële Giard, géographe, Lyon Mathilde Girault, études urbaines, Monts du Lyonnais Elie Rivière, ingénieur et éco-habitant, Monts du Lyonnais Mathilde Grandjean, doctorante en droit public, Dijon Dominique Guidoni-Stoltz, Enseignante chercheure en Sciences de l'éducation et de la formation, Dijon Kaduna-Eve Demailly, géographe (MCF), Paris Jérôme Boissonade, maitre de conférences (sociologie)enseignements, université du littoral côte d’opale (ulco) Élisabeth Peyroux, géographe chargée de recherche (cr1) Flaminia Paddeu, géographe, Paris 13 Tibo Labat, Artiste-architecte, Nantes Chloé Merlin, docteur en Écologie Microbienne Romain Ozanne Pierre Carniaux, réalisateur, Paris Olivier Cheval, critique, cinéaste Lorraine Druon, artiste Peggy Cenac, Mathématicienne, Université de Bourgogne, Dijon Gaëlle Boucand, cinéaste Lucie Lerbet, doctorante, Lyon Viviana Méndez Moya, artiste plasticienne Mario Brenta, cinéaste/enseignant Université de Padoue Raphaël Nieuwjaer, critique de cinéma Gerard Watkins auteur acteur metteur en scène Jonas Cervantes, diplômé d'architecture, Nantes Daniel Kupferstein, réalisateur. Maxime Martinot, réalisateur Valérie Osouf, documentariste Maximiliano de la Puente, rechercher et réalisateur Alain Raoust, Cinéaste, professeur associé université Paris 8 Vincennes à Saint-Denis Raquel Schefer, chercheuse et réalisatrice Jacopo Rasmi, chercheur et enseignant Louise Chennevière, ecrivaine David-Marie Vailhé, urbaniste Sophie Wahnich, historienne, CNRS, Paris Valerie Massadian, cineaste Antoine Granier, vidéaste, cinéaste Lorenzo Bianchi, réalisateur, producteur, Paris Gaëlle Obiégly, écrivaine Catherine Libert, cinéaste, Paris Boris Nicot realisateur Jean Pierre Duret, ingénieur du son, réalisateur documentaire Léa Gasquet, journaliste, Paris Yves Citton, enseignant de littérature, Université Paris 8 Mathias Rollot, enseignant-chercheur en architecture Thierry Paquot, Philosophe Jean Baptiste Bahers, Chargé de recherche CNRS, Université de Nantes Geneviève Azam, économiste Laura Mehtali, doctorante en sociologie (il y en a deux, l'autre est à la ligne 90) Claire Mélot, architecte, doctorante en philosophie Jules Valeur, ingénieur du son Franssou Prenant cinéaste Alice de Lencquesaing, comédienne, Paris Clément Schneider, cinéaste Fabien Bidaut, artiste, architecte Camille Degeye, réalisatrice, Paris Jean-Robert Viallet, journaliste, auteur, cinéaste Philippe Corcuff, maître de conférences de science politique à Sciences Po Lyon François Nobécourt, directeur de la photographie, Mexico Caroline Dubois, écrivain Thomas Le Gouge, philosophe, historien de l'art, Paris Charlotte Thevenet, enseignante, chercheuse, Paris Juliette Bayer-Broc, programmatrice, cinéaste, Marseille Aurélien Gabriel Cohen, doctorant en philosophie et géographie, Université Paris 7 / MNHN Luc Chessel, critique de cinéma et acteur Frédéric Neyrat, philosophe Martine Markovits, programmatrice, Paris Paul Citron, urbaniste Yaël André, cinéaste Clémentine Roy, artiste Sophie Bruneau, cinéaste Maxime Combes, économiste Emilie Hache, philosophe, Université Paris Nanterre David Graeber, anthropologue, London School of Economics and Political Science Yannick Haenel, écrivain
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